Mythologies du féminin #1 Sati

Etty Salem
4 min readJun 20, 2021

Retour sur la rencontre du 19 juin 2021

Le flyer pour cette rencontre

C’était une belle rencontre pleine de chaos et de surprises. Encore merci à vous qui étiez présent·e·s pour les incroyables et enrichissantes contributions.

La rencontre portait sur l’histoire de Sati telle que racontée par la tradition issue du Shaktisme (on parlera des Sorcières en juillet). Voici une transcription du mythe de Sati si vous ne connaissez pas cette histoire dans cette tradition.

En arrivant avec ce mythe, j’y voyais un aspect politique sur la colère d’un féminin non respecté dans un monde d’hommes ainsi qu’un aspect philosophique sur la passivité de Shiva (qui représente la conscience) sans l’éblouissement provoqué par la présence du monde (représenté par le féminin, Sati) ainsi que la possibilité de l’extase n’importe où, en lien avec n’importe quoi.

Pour moi, c’était un récit critique sur la place des femmes ainsi que poétique sur la question de l’être au monde. Les échanges qui suivirent ont passablement bouleversé ma vision des choses en particulier en ce qui concerne l’aspect politique de ce récit.

Le féminin comme moyen

La première remarque sur cette histoire concerne le rôle de Sati comme un agent au service d’autres enjeux (le problème des dieux avec la passivité de Shiva, le besoin de ce dernier d’avoir une compagne).

Pourquoi la femme est-elle toujours là pour ? Pour être l’épouse de, pour être rejetée, pour être violée, pour être mise à mort, pour terrifier. Pourquoi ces figures sont-elles toujours privées d’agentivité, de leur propre capacité à se mouvoir dans le monde et d’y faire des choix ? Pourquoi les personnages féminins n’ont-ils jamais de désirs propres ?

Le piédestal

Le deuxième point qui a été soulevé est celui du positionnement fréquent du féminin dans une dynamique de chute: une fois la figure féminine placée sur un piédestal, cette dernière ne peut plus que mourir (et conserver sa haute valeur symbolique) ou chuter (et devenir une figure de l’abaissement ou de la terreur).

Cette remarque rejoint la problématique de la binarité des rôles féminins sans possibilité d’une existence complexe dans l’entrelacs des subtilités du monde. Des existences caricaturales qui empêchent toute identification. Les figures féminines n’aident pas les femmes à se projeter femmes et humaines puisque les modèles ne sont que les extrêmes repoussants ou inatteignables de ces dipôles.

Dans ce sens, on peut se demander si ces mythes sont réellement porteurs pour les femmes. Permettent-ils une projection ? Peut-on y trouver un modèle ? Une inspiration ?

Les figures masculines sont souvent plus complexes et douées d’agentivité. Elles offrent ainsi un terreau bien plus riche s’imaginer “homme”.

De ces deux premières points (la femme sans volonté, la femme sans complexité), on sent que ces récits ont étés écrits par des hommes peu capables de se représenter les femmes comme des personnes entières à la vie extérieure et intérieure riche et subtile.

La faiblesse d’une “colère” qui est un suicide

De même que Sati est réduite au service des besoins masculins (les demandes de Brahma et Vishnu), lorsqu’elle est en colère parce qu’on lui a manqué de respect, elle s’enflamme et disparaît. Avec cet effondrement d’elle-même en elle-même, elle n’est de nouveau pas pourvue d’intentionnalité ou de volition propre. Son seul geste est celui de l’effacement de soi. Il n’y a pas de créativité dans sa manière de se battre contre l’injustice subie contrairement à Shiva qui, lui, provoque des catastrophes qui sont autant de formes et de créations issues de son chagrin.

Discussions

À partir de ces grands axes critiques sur le récit de Sati, la discussion s’est déplacée sur des questions sur la cause historique d’un tel déséquilibre entre les représentations et pouvoirs politiques féminins et masculins.

La question de la maternité et du contrôle de cette dernière (droit à l’avortement, congé parental) semble être un axe fort du maintient de ce déséquilibre. Les pays qui permettent aux femmes de décider pour elles-mêmes de ces enjeux (droit à l’avortement) puis incitent les hommes à s’investir dans l’espace du soin donné aux enfants (congé paternité obligatoire) semblent créer des équilibres nouveaux et plus sains (égalité des salaires, embauche, ascension professionnelle). L’Islande par exemple.

Un autre exemple qui a été soulevé est celui du Rwanda où beaucoup d’hommes ayant décédé lors de la guerre, le paysage politique s’est trouvé très investi de femmes avec, là aussi, l’établissement d’un équilibre plus égalitaire.

De ces deux exemples, on peut se demander si ces déséquilibres ne sont finalement pas liés à un biais qui se perpétue de par l’existence d’un groupe de personnes (les hommes) cloisonné et seul à même de penser et influencer le vivre ensemble (représentation politique, littéraire, artistique, managériale, etc).

La discussion s’est terminée sur une question ouverte en lien avec la “fragilité ressentie d’être un homme” (n’être qu’un vecteur de transmission génétique) ainsi que le droit compliqué pour l’accès aux émotions “t’as pas mal, ne pleure pas !”.

Et enfin, comme note finale, nous avons eu le témoignage sur le sentiment de pouvoir qu’offrent les cours d’arts martiaux pour une femme, pouvoir qui va plus dans le sens de se sentir être une force d’action (agentivité) que dans le sens de limiter la peur en sachant se protéger d’une agression (réactivité).

Encore merci à toutes et tous pour ces beaux éclairages !

Prochaine rencontre: pagode thaï, parc du Denantou à Lausanne le 17 juillet à 14h. Le thème sera la figure de la Sorcière.

La sorcière, un modèle ?

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